EDITO par Mme le Dr Danielle ACHARD
J’ai été amenée au cours de mon exercice professionnel de médecin conseil de l’assurance maladie à rencontrer une problématique dont j’ignorais totalement l’importance qu’elle pouvait revêtir au sein de la société, celle des addictions médicamenteuses.
Il a été nécessaire pour moi de faire converger deux points de vue.
Celui qui consiste à repérer et agir sur des patients appelés « surconsommants » par l’institution pour laquelle je travaille. Le second est la rencontre avec le concept des pratiques addictives où la prise en charge du patient devient beaucoup plus complexe et nuancée, ne se réduisant pas à une simple application de la législation, si on veut tenter de faire entrer le patient dans une démarche de soins.
Dès lors, il a fallu comprendre, renoncer à certaines représentations et rencontrer les personnes ressources permettant une prise en charge adaptée et travailler avec le réseau LOIREADD, dont je fais partie depuis sa création.
Depuis quelques années une autre situation a fait son apparition qui concerne le trafic des médicaments dont l’approche, bien entendu, n’est plus la même mais qui mérite d’être soulignée vu l’ampleur du phénomène.

L’origine de cette problématique est née de la préoccupation de professionnels de santé et de familles face au comportement suspect de patients qui se procuraient des médicaments au-delà de quantités raisonnables et qui avaient sollicité notre intervention.
En toute connaissance du problème il était impossible d’ignorer ces demandes d’un point de vue déontologique.
C’est ainsi que nous avons découvert la façon de se procurer ces posologies aberrantes par le biais d’un nomadisme médical et pharmaceutique parfois effréné, ce que l’on appelle dans les publications sur le sujet, le « shopping doctor ».
L’idée force était de faire reconnaître à ces patients qu’ils souffraient d’une réelle pathologie, l’addiction médicamenteuse, et de les amener à se soigner.
Faire prendre conscience de la reconnaissance de cette addiction est extrêmement difficile dans la mesure où, contrairement aux addictions connues comme le tabac, l’alcool ou les drogues illicites, elle trouve une légitimité dans la prescription médicale initiale.
En effet, les patients rencontrés trouvaient simplement que les posologies proposées étaient insuffisantes et avaient trouvé leur solution dans la multiplication des prescripteurs.
La tolérance (augmentation de la dose pour obtenir un même effet) était flagrante quand on observait leur consommation au fil des mois et des années avec des consommations record allant d’une boîte d’ALPRAZOLAM® ou 2 boîtes de ZOLPIDEM® par jour pour certains, avec 30 à 50 prescripteurs et/ou pharmacies sollicités.
Le critère de mésusage du médicament est l’utilisation de ce dernier à la recherche d’effets qui ne sont pas ceux pour lesquels il était prescrit.
Les patients prennent conscience de cet effet et rentrent dans un phénomène d’automédication de leur souffrance avec une évolution très rapide vers une addiction et tous les critères de définition de la pratique addictive sont retrouvés avec :
une consommation excessive dans les quantités et la durée,
un besoin irrépressible de consommer,
une vie qui tourne autour de la façon de se procurer le produit.
Le nomadisme médical demande beaucoup de temps et une certaine organisation comme de tenter d’utiliser des binômes prescripteurs / pharmacies pour ne pas se faire détecter.
Ce comportement engendre de lourdes conséquences sur la vie socioprofessionnelle des patients, généralement, ces derniers ont perdu leur travail, leurs liens sociaux et toute leur vie est consacrée à la recherche du produit.
La détection du problème est néanmoins très fréquente, elle est souvent l’œuvre des pharmaciens.
En effet, ceux-ci sont aux premières loges. Leur collaboration s’est renforcée au fil du temps pour devenir de plus en plus efficace, et leurs sens se sont affûtés surtout vis-à-vis des molécules susceptibles d’entrer dans un mécanisme d’addiction.
Généralement, après de longues années de collaboration, ils opèrent un signalement auprès de nos services et progressivement, ces signalements se sont avérés de plus en plus pertinents.
Le principe ensuite est donc de rencontrer ces patients, à qui il faut faire prendre conscience du problème.
Quand la nouvelle est assénée par nos soins, elle a l’effet d’un électrochoc, car mis devant le fait accompli (à savoir la production de toutes les ordonnances effectuées dans un laps de temps), le temps n’est plus au déni.
Le problème est ensuite de motiver la personne à entrer dans le soin de cette pathologie.
Le réseau est, en cela, fondamental car il permet d’orienter les patients en fonction de leur lieu d’habitation vers le CSAPA le plus proche, tout en prenant soin d’informer le médecin traitant.
Le principe est également de couper le recours à toute tentative de récidive en informant la totalité des professionnels antérieurement sollicités par une information concernant la situation avec l’accord du patient (aucun n’a jamais refusé).
Le partenariat entre les médecins et les pharmaciens s’est, de fait, renforcé au fil du temps et ne nécessite plus toujours notre médiation, ce qui a été très bénéfique dans un certain nombre de situations.
Tous les médicaments psychoactifs sont potentiellement addictogènes, qu’il s’agisse des psychotropes ou des antalgiques. Bien entendu, toute personne mise en présence de ces traitements ne développera pas d’addiction mais la vulnérabilité et le terrain du patient seraient indispensables à connaître avant une primo prescription.
Quand on voit la banalité des médicaments concernés et leur utilisation au quotidien, cela incite forcément à la réflexion sur le fait que, pour tout type de médicament, la durée du traitement et sa fin se doivent d’être envisagés, dès la première prescription.
Les principaux médicaments concernés sont :
Les benzodiazépines avec les anxiolytiques et les hypnotiques
La morphine
Le Fentanyl
Les antalgiques de palier 2 : TRAMADOL® et CODEINE
Plus récemment la PREGABALINE (LYRICA®) dont il sera question plus loin.
Les risques de ces médicaments sont connus mais méritent d’être rappelés au moins pour les plus fréquents :
Pour la morphine et le Fentanyl le risque de dépression respiratoire qui est majoré lors de la prise d’autres médicaments psychotropes
Pour les benzodiazépines on retrouve un risque de dépression respiratoire, une amnésie et des effets paradoxaux avec renforcement de l’angoisse, irritabilité, troubles du comportement…
Pour les antalgiques de palier 2 codéinés, outre les effets indésirables des opiacés on retrouve une association dans leur présentation avec du paracétamol ce qui implique un risque hépatique important eu égard aux posologies auto-administrées
Enfin le TRAMADOL® dont le mécanisme d’action est complexe entraîne un risque convulsif dès 500 mg par jour pour une posologie maximale à 400 et un risque de détresse respiratoire dès 800 mg. Les posologies quotidiennes observées chez les patients jeunes rencontrés au cours des 4 dernières années sont autour de 1,5 g d’où le caractère urgent du dépistage et un certain nombre d’entre eux avait déjà été admis aux urgences pour des crises convulsives.
La PREGABALINE est d’un mésusage plus récent et n’avait pas été mentionnée dans les recueils officiels sur le mésusage jusqu’à il y a peu de temps. Son apparition dans ce domaine est néanmoins extrêmement préoccupante puisque dans notre service c’est la molécule de loin la plus mésusée à l’heure actuelle. Cependant, vu ses indications plus limitées (épilepsie, douleurs neuropathiques et trouble anxieux généralisés) elle est obtenue non seulement par nomadisme mais surtout par falsification d’ordonnances. L’effet recherché est un effet euphorisant et les surdosages conduisent à un coma, des troubles de conscience, un état confusionnel et en dépit de ses propriétés antiépileptiques des crises convulsives.
Cette dernière molécule, LA PRÉGABALINE, nous amène à évoquer une situation que l’on rencontrait de façon marginale au début de mon exercice mais qui s’est généralisée ces dernières années, à savoir la falsification d’ordonnances dans un contexte de trafic de médicaments.
Les posologies moyennes calculées pour les personnes à l’origine de ces faits permettaient d’affirmer de façon certaine que les médicaments n’étaient pas détournés pour un usage personnel.
En effet, la posologie maximale de la PREGABALINE est de 600 mg/jour pour un individu sain or, les posologies rencontrées dans ces situations sont de l’ordre de 1 à 2 g/jour.
De même pour le TRAMADOL® dont la posologie maximale est de 400 mg, on retrouve également des cumuls à 1 voire 2 g/jour.
Une information a été faite au fil de l’eau aux différents intervenants : médecins et pharmaciens.
Les pharmaciens sont parfaitement au fait de la problématique et leurs signalements affluent. En revanche, les médecins, y compris dans les spécialités prescrivant de façon usuelle et légitime ces médicaments sont très peu conscients du phénomène de mésusage.
Un travail collaboratif important entre le pharmacien inspecteur de l’ARS (Agence Régionale de Santé), le Dr Alexandra BOUCHER du CEIP (centre d’addictovigilance) de Lyon et moi-même a abouti à un signalement de cas sensible auprès de l’ARS.
L’ANSM a régulièrement émis des messages d’alerte sur les différentes molécules sensibles.
Elle avait commencé par la morphine, les benzodiazépines.
Le FLUNITRAZEPAM a été retiré du marché du fait de son mésusage habituel, le CLONAZEPAM (RIVOTRIL®) répond maintenant à des critères stricts de prescription ainsi que le ZOLPIDEM depuis peu.
La commission des stupéfiants et psychotropes de l’ANSM avait émis en octobre 2020 des préconisations concernant la prescription de la PREGABALINE qui est devenue le premier médicament faisant l’objet d’ordonnances falsifiées.
Ces préconisations ont donc été suivies d’un changement des consignes de prescription depuis le 25 mai 2021 avec prescription sur ordonnance sécurisée de 6 mois maximum à la posologie minimale efficace, ce qui est un début.
Tous les cas suspects sont appelés à être signalés par le biais de l’outil VIAPS (vigie info ARS produits de santé) disponible sur le portail de l’ARS et qui permet de signaler des demandes frauduleuses de médicaments. Ces différents signalements de vols et falsifications d’ordonnances dans le but de trafic de médicaments sont en cours d’instruction au Parquet du fait de leur caractère extrêmement dangereux.
Quant au service médical de l’assurance maladie, il est toujours disponible pour répondre aux sollicitations et orienter les professionnels et les patients.
INFOS LOIRÉADD’
Pour s’adapter aux conditions sanitaires, la Rencontre Thématique N° 4 sera encore digitalisée, rendez-vous à 18h30 précise, en ligne, via Microsoft Teams !
Pensez à vous inscrire préalablement pour recevoir le lien de connexion
Nouveaux horaires 2021 : 18h30 – 20h30
Rencontre Visio-Thématique N°4
Cannabis, Cannabis thérapeutique ou Cannabidiol : Le grand flou !
animée par Mesdames Alexandra BOUCHER et Cécile CHEVALLIER,
Docteurs en pharmacie au CEIP-Addictovigilance de Lyon
Jeudi 17 Juin 2021 – 18h30
en visioconférence via Teams
Inscrivez-vous dès maintenant !
le lien de connexion sera envoyé exclusivement aux inscrits
Rencontre Visio-Thématique N°5
Addictions et psychiatrie : Prises en charge coordonnées des pathologies duelles
animé par le Professeur Georges BROUSSE
Responsable du service de référence en addictologie au CHU de Clermont-Ferrand
Jeudi 30 Septembre 2021 – 18h30
Hôpital Bellevue Pavillon 16 – CHU de Saint-Etienne
(ou en visioconférence si les conditions sanitaires l’exigent)
Inscrivez-vous dès maintenant, les places sont limitées !
Rencontre Visio-Thématique N°6
Focus cocaïne : conséquences et prise en charge dans la Loire
Témoignages des pratiques professionnelles dans le cadre d’une table ronde ligérienne
Jeudi 4 Novembre 2021 – 18h30
Hôpital Bellevue Pavillon 16 – CHU de Saint-Etienne
(ou en visioconférence si les conditions sanitaires le nécessitent)
Inscrivez-vous dès maintenant, les places sont limitées !
Les séances des Lundis de Loiréadd’ se déroulent en version digitalisée jusqu’à fin Juin :
Pensez à proposer cet accompagnement également à vos patients majeurs.
Séance gratuite mais inscription obligatoire avec une adresse mail valide pour recevoir le lien de connexion.
Reprise des séances en présentiel après l’été le Lundi 6 Septembre 2021
(sauf mesures sanitaires contraires)
INFOS PARTENAIRES
Le site ese-ara.org que vous connaissez évolue et change d’adresse pour devenir : agir-ese.org
Le site Auvergne-Rhône-Alpes est rejoint par l’Occitanie et devient un site ressource inter-régional pour mettre à disposition encore plus de contenus.
Comme chaque année, l’Institut Fédératif des Addictions Comportementales (IFAC) du CHU de Nantes organise “Les Rencontres de l’IFAC” celle du jeudi 25 novembre 2021 se tiendra de 15h à 18h. Cette conférence gratuite est ouverte aux professionnels des secteurs sanitaire et médico-social concernés par la prise en charge de joueurs d’argent pathologiques.
Cette année, la conférence aura pour thème la gestion de la crise suicidaire dans le jeu pathologique.
Pour traiter de ce sujet important, nous aurons le plaisir de recevoir 2 intervenants, permettant de combiner les approches scientifique et clinique de cette problématique :
– le Pr Anders Håkansson, professeur en médecine des addictions à la faculté de médecine de l’Université de Lund, en Suède, et responsable de l’unité de traitement des troubles liés au jeu dans un établissement de santé régional au sud de la Suède;
– le Dr Virginie Lagrée, psychiatre praticien hospitalier aux Urgences Médicopsychologiques du CHU de Nantes et spécialiste des thérapies brèves.
Vous trouverez ci-joint l’affiche de cette conférence et le bulletin d’inscription (l’inscription est obligatoire pour assister à la conférence). Il est également possible de s’inscrire directement en ligne en suivant ce lien : https://ifac-addictions.chu-nantes.fr/les-rencontres-de-lifac-1.
La conférence aura lieu à la CCI Nantes St-Nazaire (quai Ernest Renaud, Nantes), mais pourra être organisée en visioconférence si les conditions sanitaires du moment ne permettent pas d’accueillir les participants dans les conditions suffisantes de sécurité.
Le nombre de place étant limité, nous vous remercions de vous inscrire dès que possible si vous souhaitez assister à cette conférence.

Le CHU de Nantes vous propose de répondre à une nouvelle enquête en ligne totalement anonyme afin d’évaluer l’impact de la pandémie de la COVID-19 sur certains comportements excessifs. Si vous avez quelques minutes de disponible et que vous souhaitez nous aider à mieux comprendre l’impact de la crise sanitaire actuelle sur la consommation d’écran et les conduites addictives dans la population étudiante, nous vous invitons à répondre à l’enquête en cliquant sur ce lien : Lien vers l’enquête
Il n’y a aucun bénéfice ou risque à participer à cette étude. Vous pouvez à tout moment arrêter votre participation à cette recherche en quittant cette page. Aucune donnée nominative ne sera recueillie durant cette recherche. Aucune indemnité n’est prévue pour la participation à cette étude. Cette recherche est réalisée à l’initiative du Pr Grall-Bronnec et du Dr Challet-Bouju.
N’hésitez pas à communiquer le lien de l’enquête aux étudiants qui pourraient être intéressés.